Le petit-déjeuner du jour satisfait enfin les désirs salés de Daniel : jambon, fromage et deux œufs durs. Il ne mange cependant qu'un seul des œufs ; Anne-Marie emporte l'autre pour plus tard. Nous nous mettons en route par la rue la plus pentue de la journée pour quitter la ville de Niort. Le trajet d'aujourd'hui suit la Sèvre niortaise, puis des bras et canaux innombrables à travers le marais poitevin et ses subdivisions (Venise verte, île du Loup, sans oublier le marais de la Chate). Après les étapes extrêmement vallonnées des deux derniers jours, nous sommes fort aises d'enchaîner les platitudes.
Nous avons déjeuné au bord de l'eau, en goûtant des spécialités poitevines (anguilles, fromages, bière et tourteau fromager). Notre chance, ou notre clairvoyance, a fait que ce repas à l'abri coïncidait avec la seule averse de la journée. Un peu plus tard, nous aurons la même inspiration au moment de prendre un café deux minutes avant un court crachin à Damvix.
Anne-Marie crée un nouveau toponyme, le marais de l'Œuf dur, lorsqu'elle se rend compte que le casse-croûte emporté le matin même (le lecteur s'en souvenait-il ?) n'était plus que charpie dans son panier, et qu'elle le balance à l'eau. Une légende venue du Japon raconte que dorénavant, toute personne tombant dans ce point d'eau sera maudite et se transformera en œuf dur écrabouillé si on l'asperge d'eau froide.
Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin : pour gagner le gîte, nous devons sortir de la piste balisée de la Vélo Francette et emprunter des passages légèrement moins conviviaux. Le clou est le dernier kilomètre et demi sur une départementale bien fréquentée où les automobilistes pressés n'hésitent pas à appuyer sur le champignon en ligne droite. Nous nous faisons klaxonner, mais il s'agit du seul chemin desservant la maison de nos hôtes. Ceux-ci nous expliquent qu'ils réclament depuis des années l'ouverture d'un chemin à travers le marais, mais que les pouvoirs publics opposent le caractère protégé des arbres à cet endroit.